2021 – Harriet Macey

Le Prix Henry Dunant Recherche pour l’année 2021 est décerné à Mme Harriet Macey pour son mémoire: «Safe Zones»: A Protective Alternative to Flight or a Tool of Refugee Containment?

Les membres du jury ont considéré que ce mémoire traitait d’une question d’une brûlante actualité, puisqu’il vise en particulier les prétendues « Zones de sécurité » créées par la Turquie le long de sa frontière, en territoire syrien, dans le cadre du conflit en cours en Syrie. En vérité, il s’agit non seulement d’une question d’une brûlante actualité, mais l’auteure met en garde contre le risque de voir cette pratique se reproduire lors de futurs conflits. Le jury a relevé également l’originalité et le caractère innovant de ce mémoire, notamment à travers le lien entre « zones de sécurité » et politiques migratoires ou, plutôt, anti-migratoires. Dans de nombreux cas, le terme de « zone de sécurité » est un euphémisme qui vise à dissimuler en fait des cas d’occupation. Enfin, ce mémoire met en jeu l’interaction entre droit international humanitaire, droit des réfugiés et droits de l’homme. Tout en répondant pleinement aux critères académiques, ce mémoire constitue en fait un plaidoyer pour le respect du droit d’asile, qui est menacé par la création de prétendues « zones de sécurité » qui visent en vérité à contenir des réfugiés dans les zones frontalières de leur propre pays, ce qui revient en fait à les priver de leur droit de fuir leur pays et de demander l’asile dans un pays d’accueil. Ce plaidoyer se situe dans le droit-fil des combats d’Henry Dunant et correspond pleinement aux critères d’attribution du prix Henry Dunant.

Biographie

Harriet Macey est titulaire d’un LLB de l’Université d’Edinburgh et d’un LLM de la Geneva Academy. Avant de s’enrôler dans le programme du LLM, Harriet a travaillé comme conseillère d’immigration dans deux centres de réfugiés à Londres et pour une ONG œuvrant pour la prévention de conflits. Elle a aussi tenu plusieurs postes de volontaire, prodiguant des conseils légaux à bien plaire, notamment à des demandeurs d’asile à Cape Town en Afrique du Sud. Ses expériences académiques et professionnelles ont éveillé en elle un intérêt particulier pour des thèmes comme la violence des genres (gender-based violence), ou le déplacement forcé pendant les conflits armés, et ont ainsi motivé ses études en droit humanitaire international et droits de l’homme. Pendant son séjour à la Geneva Academy, Harriet a pu travailler avec l’équipe éditoriale de la Revue Internationale de la Croix Rouge. Elle travaille aujourd’hui pour l’unité des armes et du programme de la Chine pour Saferworld, une ONG internationale basée à Londres.

Résumé de la thèse

Les soi-disant « zones de sécurité » constituent une menace de plus en plus urgente lorsqu’il s’agit de garantir une véritable et solide protection juridique internationale pour les personnes fuyant un conflit. A titre d’exemple, les efforts de la Turquie pour établir une zone de sécurité dans le nord de la Syrie se sont avérés être une stratégie explicite de confinement des réfugiés, avec un but concret : empêcher la fuite et garantir le retour des réfugiés syriens. Ce contexte, associé à la nature de plus en plus longue des conflits armés et defacto des déplacements massifs qui en résultent, indique que les zones de sécurité sont susceptibles de devenir une caractéristique plus courante dans un contexte de conflit armé. Cet article cherche à clarifier le cadre juridique entourant leur existence, en particulier les obligations des pays d’accueil des flux de réfugiés envers les personnes fuyant un territoire où se trouve une zone de sécurité.

La première partie donne un aperçu général des zones de sécurité qui ont émergé dans la pratique internationale avec une description du cadre conventionnel du droit international humanitaire (DIH), qui fournit une base juridique explicite concernant la création de diverses formes de zones « protégées ». Tout en reconnaissant son potentiel théorique pour améliorer la protection des civils, l’auteur souligne que ce cadre du DIH est rarement applicable. Dans un second temps, il est fait mention des zones de sécurité antérieures établies sous l’égide de l’ONU et de leur échec à tenir la promesse de sécurité, en grande partie en raison de leur nature imposée de façon non consensuelle. Cette section se termine par un examen de la situation actuelle, en particulier dans le contexte turco-syrien, l’auteur s’inquiétant de cette nouvelle typologie de zone de sécurité ni régie par le DIH ni autorisée par le Conseil de sécurité de l’ONU.

Sur cette base, en utilisant le contexte syrien comme point de référence clé, la deuxième section entreprend une analyse globale découlant de l’application complémentaire du droit international des réfugiés, du droit international humanitaire et du droit international des droits humains (DIDH) afin de démanteler trois affirmations qui risquent d’être associées avec des zones de sécurité.

Premièrement, à travers la référence au droit de partir en DIH et au renforcement des protections du DIDH ainsi qu’au principe de non-refoulement, il est démontré que l’existence d’une zone de sécurité ne peut justifier la fermeture des frontières et autres pratiques de refoulement qui ont pour effet de refuser l’accès aux procédures d’asile.

Deuxièmement, le document conteste l’argument possible selon lequel une zone de sécurité peut justifier le rejet d’une demande d’asile dans le cadre de l’alternative de protection interne (API). L’auteur souligne que même si une zone de sécurité est administrée par une puissance étrangère ou une force de maintien de la paix de l’ONU, la capacité limitée de ces acteurs et les garanties illusoires de sécurité dans ces espaces font que l’API sera rarement applicable.

Troisièmement, compte tenu de facteurs tels que le risque de reprise des hostilités et de préjudice grave et irréparable pour ses habitants, l’auteur souligne qu’il existe très peu de cas où une zone de sécurité peut être considérée comme durablement sûre pour justifier un retour.

Dans sa conclusion, ce document met en garde sur le fait que le potentiel d’une zone de sécurité pour assurer l’octroi d’une assistance humanitaire et une protection physique renforcée ne doit pas être négligé. Cependant, la création de zones de sécurité doit s’inscrire dans une stratégie humanitaire axée sur la protection immédiate des civils conformément au cadre du DIH. Ce document démontre finalement que même si les zones de sécurité respectent certaines normes minimales de protection, la volatilité et la complexité de l’environnement des conflits signifient que ces zones ne devraient pas et ne peuvent pas se substituer à une véritable et solide protection des réfugiés en vertu du droit international.

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